Vie de Jesus (La) - Vie de Jesus (La)
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Regia: | Dumont Bruno |
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Cast e credits: |
Scénario: Bruno Dumont; image: Philippe Vanleeuw; son: Eric Rophe; décors: Frédérique Suchet; montage: Guy Lecorme; interprétation: David Douche, Marjorie Cottreel, Kader Chaatouf, Geneviève Cottreel; production: 3B Productions; distribution: Tadrart Films; France, 1997; durée: 96’. |
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Trama: | Freddy ha sedici anni e vive a Bailleul, un paesino nel nord della Francia. Fidanzato con Marie, conduce un’esistenza sbandata in compagnia dei suoi amici disoccupati e privi di forti motivazioni esistenziali. La compagnia di Freddy prende di mira Kader, un giovane arabo che vive nel paese con la sua famiglia. Stanca delle bravate di Freddy, Marie decide di lasciarlo e di accettare la delicata corte di Kader. Cieco per la rabbia, Freddy, insieme ai suoi sfaccendati amici raggiunge il ragazzo in campagna e lo uccide colpendolo ripetutamente. |
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Critica (1): | Bailleul, une petite ville du nord de la France. Freddy (David Douche) y a pignon sur rue, et non loin de là se trouvent ses copains, qu’il rallie à mobylette. On pense d’abord à un grand film régionaliste, puis à un western, avec chevauchées fantastiques et charges héroïques à mobylettes. Les cow-boys ont une gueule qui vient de la terre ; la mère de Freddy est le prototype de la forte femme, et en même temps la propriétaire du saloon; la copine du cow-boy, elle, est là comme une rareté précieuse ; et dans le rôle de l’indien, seul répresentant d’une “tribu” tenue à l’écart, il y a Kader, qui est arabe. Que gagne-t-on à voir en La Vie de Jésus un western, que gagne-t-on à y relever des traits spécifiquement américains? On y gagne la vertu du clan : un club des cinq avec à sa tête Freddy, le plus entêté de tous, dont le jeu est aussi rentré que les yeux. Unis comme les cinq doigts de la main pourrait-on dire, tant la disparition d’un seul signifierait la mort immédiate du groupe. Là est sans doute la plus visible proposition de La vie de Jésus, et la plus politique. Si le groupe revient au triple galop dans le cinéma français, une malédiction plane encore sur lui. D’éclatement en dissémination, il est rarement plus que la somme des individus qui le composent et la collection de leurs particularismes. Ce qui continue à lui faire dramatiquement défaut, c’est le rituel. Celui que constitue le groupe en bloc et fait qu’il pèse dans l’Ouest comme à Bailleul, chez Hawks comme chez Dumont, comme une masse indivisible, soudée pour le meilleur et pour le pire, dans une même communauté de codes. Et comme tout rituel, il tient et d’un savoir-faire – on rivalise de prouesse à mobylettes, on fanfaronne au tambour, on rénove une voiture – et d’un code de conduite inviolable. On aurait tort cependant d’en faire plus longtemps l’apologie: c’est par sa transformation en logique d’exclusion que ce rituel donne lieu à un racisme au vu et su de tous, réglé comme du papier à musique et claironnant sa légitimité au son de La Marseillaise.
Aussi sûrement que, dans les silences indécidables de la bande, la parole est impudique, l’étranger est avant tout une langue étrangère. Tous les prétextes sont bons pour que, à peine a-t-il franchi le seuil de la porte (du territoire), la raillerie, et plus, aille bon train. A l’intérieur du groupe, on s’entend (pas la peine de dire les choses ou de faire des phrases pour rassurer celui qui a perdu un frère, mort du sida); mais à l’extérieur on ne s’entend plus. D’abord parce qu’on en vient aux mots comme on en vient aux mains, et qu’il est encore plus simple d’en venir aux mains. Car plus que tout au monde, Freddy et sa bande rechignent à nommer: entre la chose et son nom il y a un abîme; entre ce qu’ils font subir à una majorette et ce mot de “viol” dans la bouche du père de la jeune victime, il y a toute l’incrédulité d’un groupe qui n’entend pas se laisser piéger par la langue. C’est la pire des épreuves qui peut lui être infligée, eux qui, à la manière de Freddy, préfèrent se flageller et rivaliser physiquement avec le Mal – ce mal qui le ronge aussi de l’intérieur et sourd sous forme de crises d’épilepsie. A ce titre, la fuite de Freddy hors du commissariat n’est pas le signe d’un salut mais l’aveu ultime d’une défaite. On attendait la police du côté de la répression physique, mais c’est comme lieu symbolique d’emprisonnement par la parole, c’est-à-dire lieu de pouvoir par excellence (de fascisme, dirait Barthes), qu’apparaît le commissariat. Freddy a cru pouvoir rêver tout haut, hors langage, sa liberté ; utopie s’il en est, le langage lui en fait payer le prix. Toujours avec Barthes, on peut dire qu’il ne pouvait en sortir “qu’au prix de l’impossible: par la singularité mystique”. Tel est peut-être le sens du titre La Vie de Jésus, titre à vrai dire plutôt mal venu puisqu’il s’inscrit, de façon énigmatique (hormis une référence à la résurrection de Lazare), comme commentaire (interprétation et mise à distance) du film. Freddy, au fond, fait plus volontiers penser à une quelconque incarnation du diable (comme le Freddy des Griffes de la nuit) ; Kader, à la rigueur, serait plus proche de Jésus, lui qui parle l’amour et qui, le temps d’un plan le reliant à une ogive puis au ciel, est sanctifié – avant de vivre plus tard un martyre.
Ce mysticisme, il est plutôt à prendre au sens d’une certaine primitivité. Le bonheur, dans La Vie de Jésus, est aussi simple que le sexe, aussi simple qu’un insert tranchant découpant les corps pour en organiser la presque parfaite fusion, en deçà des mots. Inutile de dire que ces scènes-là n’appartiennent à aucun quota, à aucune Qualité Sexuelle (QS: peut se dire de tout film qui n’a pas froid aux yeux et intègre de temps à autre des scènes de nu et de sexe pour prouver, notamment, que le choix de l’actrice est judicieux, et métamorphoser l’ordinaire de l’histoire en spectacle des sens). Elles semblent ne pas appartenir au film. D’ailleurs, elles n’appartiennent pas aux acteurs, doublés dès qu’il y a la moindre nudité. Et ce montage, Bruno Dumont ne l’a pas voulu réaliste. Il a voulu ces plans comme des verres grossissants montrant un cadre dans lequel la rencontre de deux ventres s’exprime en clapotis, où deux belles machines rentrent inlassablement l’une dans l’autre. Des corps qui ne se définissent que par la place qu’ils occupent. C’est-à-dire qu’à quelque endroit qu’ils se trouvent, ils ne signifient rien de plus que l’appartenance à un même territoire. Mais voilà, cette homogéneité fantasmée est bientôt détruite. Peu à peu, la ville, mystérieuse d’abord dans sa géométrie, se structure et est rendue à sa réelle topographie. A telle enseigne que l’on peut parler de géométrie à suspens, principe qui vaut autant à l’échelle de la scène qu’à celle du film. Soit à titre d’exemple, la scène de répétition de la fanfare. Premier plan: un homme dirige la fanfare, restée hors-champ. Deuxième plan: le groupe des majorettes exécute une choréographie. Suivent ensuite un plan du professeur de gym et un autre sur la fanfare elle-même. Rien ne vient suturer l’espace, et ce n’est qu’à l’extrême fin, avec l’élargissement du cadre, que l’on accède à la compréhension générale de la situation. Dans le même mouvement, dans la longueur du film, l’ordre premièrement mis en place est déstabilisé via le dévoilement progressif de l’espace. Ainsi, l’organisation de celui-ci autour du groupe (ce groupe, c’est à la fois le droit du sol et le droit du sang, un sentiment extrême de consanguinité) est bientôt mise à mal, discréditée : d’autres foyers se découvrent, comme autant de noyaux d’altérité (la maison de la copine, qui se situe en fait dans la rue de Freddy; Kader se trouve une bande et un état-major) qui menacent par leur contiguïté (la frontière) le territoire du clan. Peu à peu, les uns et les autres ont droit de cité. Cette légitime démocratisation de l’espace, avec pour exemple l’union de Kader et Marie, laisse Freddy en retard sur le film. Retard à l’origine d’une vengeance qui finira en meurtre, en désespoir de cause (au contraire du racisme triomphant de la scène du café). Rien ne laissait supposer, comme le suggère sa mère, que le garçon soit mauvais. Ce terrain psychologique qui fonde chaque personnage et qui préexiste, contre vents et marées, au social dans les fictions du même nom, a ici disparu. Pour qu’il n’y ait pas de confusion, on dira que Bruno Dumont a définitivement pris le parti de la science-fiction contre celui de la fiction sociale, biais plus prompt à rendre compte du réel, en le cherchant dans et par l’abstraction. Voilà donc un beau film en forme d’entonnoir, forme du reste assez répandue pour n’emporter aucune garantie de qualité. Mais elle devient passionnante quand, comme dans L’Argent (même si ce n’est jamais un service à rendre à un film que le comparer à Bresson), le récit se resserre, allant de l’anecdotique vers l’improbable, pour aboutir au fait divers : un jeune en tue un autre. Cette sinistre conjonction, c’est en quelque sorte l’addition à régler du film : un meurtre devenu tellement logique et d’une logique tellement simple qu’il semble paradoxalement arriver par inadvertance. Le mobile le plus évident est bien sûr le racisme; mais ce stade-là est dépassé depuis longtemps. Un motif tout aussi évident peut être le crime passionnel. Mais il y a plus
simple encore: cette fille c’est avant tout le sexe du groupe, l’expression la plus évidente de sa virilité – si Freddy est le chef de la bande c’est, sans contredit, parce qu’il est “celui qui couche” comme le disent ses copains. Et cette précieuse marchandise, il est naturel (et vil à la fois) que chacun la convoite pour en tirer sa puissance, et y tienne plus qu’à sa propre vie. On ne transige pas avec ce genre de substitut (phallique pour le groupe, social pour Freddy). Mais cette “révolte”, fallait-il qu’elle soit si animale? Fallait-il qu’elle soit raciste? Fallait-il que l’arabe soit si dangereux, parce que plus malin et plus séducteur que les autres? Toutes ces questions, sur lesquelles Dumont ne tranche pas, laissant, non sans quelque malignitè, le spectateur à ses interrogations, ce sont les hypothèses d’un film qui compile les signes en les traitant comme autant de clichés (c’est sa dimension iconographique) pour les mettre à l’épreuve de l’incarnation. Epreuve qu’en dernière instance La vie de Jésus ne réussit pas complètement, pas suffisamment en tout cas pour ne pas donner l’impression de courir après son humanité.
Thierry Lounas, Cahiers du cinéma, juin 1997 |
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