On connaît la chanson - On connaît la chanson
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Regia: | Resnais Alain |
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Cast e credits: |
Scénario et dialogue: Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri; image: Renato Berta; son: Pierre Lenoir; décors: Jacques Saulnier; montage: Hervé de Luze; musique et arrangements: Bruno Fontaine; interprétation: Sabine Azéma, Agnès Jaoui, Pierre Arditi, Jean-Pierre Bacri, André Dussollier, Lambert Wilson, Jane Birkin; production: Bruno Pesery, Michel Seydoux, Ruth Waldburger; distribution: AMLF; France, 1997; durée: 120’. |
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Trama: | Un uomo si aggira in un appartamento vuoto, disordinatissimo, sparsi ci sono i segni evidenti di una festa che e' andata avanti per buona parte della notte. Si avvicina ad un tavolino, prende un disco, se lo rigira tra le mani per qualche minuto, infine guarda in macchina: "ma io questa canzone la conosco..." |
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Critica (1): | On devrait donc être habitués. Chaque film de Resnais est l’invention d’une forme, une torsion des lois du récit, un déplacement des codes de la représentation. Pourtant, même pour le cinéphile averti, On connaît la chanson est une expérience déroutante. Si déroutante qu’elle déstabilise d’abord le jugement critique : le film est-il vraiment le ratage complet qu’on croit pressentir à la vision de la première scène, proprement hénaurme? On se répond à regret oui, puis finalement non, puis quand même si, jusqu’ à ce que, passée la phase d’accomodation, tout aille mieux pour le spectateur, désormais convaincu que ce n’était pas le film, mais lui qui ne fut pas à la hauteur, par trop pris à rebrousse-regard. Il faut dire que le principe d’ On connaît la chanson est extrêmement périlleux : les dialogues sont parsemés de bouts de chansons, une ou deux phrases, un couplet parfois mais guère plus, chantés par les interprètes originaux (d’Aznavour à Souchon, en passant par France Gall ou Dalida), tandis que les acteurs se contentent d’articuler les paroles à l’écran. Cette greffe d’un procédé de music-hall (le play-back) sur le réalisme cinématographique (le son direct) instaure un tel effet de distanciation qu’elle annule l’impression de vérité que produit d’ordinaire l’image de cinéma. Nul doute que cela soit le profond désir de Resnais dont la pulsion théâtrale depuis quelques films est singulièrement prégnante. Il n’y a plus de monde, depuis L’Amour à mort, que fabriqué, artificiel, clos. Il n’y a plus de vie que soumise aux impératifs du théâtre. Non qu’il s’agisse pour Resnais de se rallier aux grandes leçons de la désillusion baroque (le mond est une scène, la vie est un songe - ou un roman), mais qu’il martèle plutôt que la vie est un jeu, jeu de construction (ses premiers film) ou jeu de rôles (ses derniers). Il va de soi qu’il n’est écrit nulle part que les jeux doivent finir bien. Fidèles à cette esthétique du faux, les sites parisiens, pourtant réels, que Camille (Agnès Jaoui), guide et thésarde, fait visiter à des groupes de touristes, ont tous l’air construits de carton-pâte (la lumière terne et plate du chef op’ n’y étant pas pour rien). De même, les décors intérieurs ne cherchent guère le réalisme et sont plutôt là pour faire signe que pour faire vrai: ceci est un appartement où Odile (Sabine Azéma) s’ennuie, il est donc gris, étriqué et sans vue; cela, un appartement où Odile espère retrouver le goût de vivre, il sera clair, spacieux, et ouvert sur la ville comme un oeil avide. Cet usage théâtralisé du décor résonne avec celui de l’espace, cette fois encore assez proche de l’espace scénique, bien que le film multiplie les décors et qu’il s’aventure quelquefois à l’air libre. Reste que si les personnages se déplacent beaucoup, d’appartement en appartement, de bureau en café, chaque séquence est immobile, attachée à son lieu comme à un plateau de théâtre. Resnais a d’ailleurs abandonné, depuis qu’il creuse son nouveau sillon, les figures de style de son premier cinéma (longs et lents travellings, ruptures de montage) pour une mise en scène en plans fixes et en panoramiques qui constituent l’espace en un bloc beaucoup plus homogène et totalement centripète. C’est un monde sans extérieur que celui-ci, jamais traversé de réel brut, où les gens sont là et parlent.
Car On connaît la chanson est un film de paroles plutôt que de gestes. Les dialogues sont le véritable moteur de l’action. L’inspiration boulevardière (les dialogues sont très souvent drôles) introduit d’ailleurs l’autre grand pan de filiation du film : la culture populaire qui a toujours participé de l’imaginaire de Resnais et qu’il revendique ici hautement puisque ce film est un hommage aux téléfilms à succès de l’Anglais Denis Potter. Toutes les chansons ainsi sont puisées dans le stock le plus commun de la varieté française, il n’y a pas de chanteur “intello” sinon Léo Ferré, mais Avec le temps n’est pas son moindre succès commercial. Le film bien sûr exigeait cette connaissance a priori des chansons pour atteindre un de ses buts – faire rire, ce qu’il fait d’abondance, en jouant évidemment de l’incongruité des situations qu’il sait parfaitement renouveler, ou en recourant aux mimiques expressives du plus haut effet comique. En même temps, cette “francité” très forte de l’univers musical, l’absence de toute musique anglo-saxonne, et de tout chanteur même français apparu récemment (pas de Patricia Kaas ou de Jean-Jacques Goldman), produit une impression étrange. Si le jeunisme ambiant n’était pas injustement passé par là, on oserait dire que Resnais a réussi un grand film de vieux. Qu’est-ce qu’un film de vieux? Pas du tout un film-testament, mais un film qui a une certaine mémoire des choses et du monde et qui n’est pas prêt à la sacrifier au profit du culte du contemporain. La filiation d’ On connaît la chanson avec le cinéma français des années 30 (l’adolescence – comme on ne disait pas encore – de Resnais) où presque chaque film avait sa ou ses chansons, est ainsi évidente et évidemment revendiquée. De même les décors, très vieille école, ou l’âge moyen des acteurs plutôt élevé pour un film français tournant autour d’ affaires de coeur, sont parmi les plus belles audaces du film. Il y a une vie après quarante ans, après cinquante, soixante ou soixante-dix, et cette vie a son rythme, son temps, sa mémoire. D’où sans doute le fait que Camille soit historienne et Simon (André Dussolier) érudit féru d’ Histoire de Paris. Ils sont l’incarnation de l’épaisseur du temps. Camille, dans une scène d’hallucination, ira jusqu’à rentrer en contact visuel avec les chevaliers-paysans de l’an 1000 au lac de Paladru (le sujet de sa thèse), déployant soudain tout le temps qu’elle contient.
Cela dit, les problèmes des hommes d’un âge à l’autre ne varient guère, même si les réponses, elles, peuvent changer. Ce sont toujours les mêmes histoires d’amour, le temps qui passe et qui saccage. Simon aime Camille et ne sait pas le lui dire. Camille aime Marc (Lambert Wilson) qui, lui, aime juste les filles. Nicolas (Jean-Pierre Bacri) n’aime personne. Odile aime ancore Claude (Pierre Arditi), mais Claude n’aime plus Odile. Tous sont perdus, ne savent plus parler, ni à eux-mêmes, ni aux autres. Les chansons tiennent lieu de commodes viatiques. J’emprunte à Thierry Jousse le très juste mot de surconversation, comme un pendant exact de la sous-conversation sarrautienne. Autant la prose de Sarraute est une analyse fouillée de tous les mouvements de la conscience, autant les chansons jouent ici le rôle de cache, de leurre confortable. Que les mots soient déjà écrits, qu’il suffise de les répéter, permet d’éviter de se regarder d’un peu trop près. D’ailleurs, si les acteurs ne chantent pas eux-mêmes, c’est que ce n’est pas “je” qui parle quand ils parlent, mais ça, un paisible et réconfortant discours social qui fait office de sens. Seulement, comme on sait, où est ça je dois advenir, et c’est toute la beauté d’ On connaît la chanson que de montrer comment la sur-conversation se craquelle puis se brise et laisse apparaître la misère, l’effroi et la faiblesse des hommes. Car le nouveau film de Resnais est un grand film de la maladie, subrepticement mélancolique et, au finale, ouvertement dépressif. L’hypocondrie de Nicolas et la dépression de Camille sont les signes visibles du désordre qui envahit tout, mais ils sont loin d’être seuls. Les corps étrangers sont légion et ils s’attaquent à chacun. Dans la très longue séquence de pendaison de crémaillère chez Odile, Resnais a eu la géniale idée de représenter le mal ( pas le Mal, le mal simplement, la maladie, l’angoisse, la détresse, l’asphyxie) sous forme de méduses en surimpression, qui se promènent dans la pièce, se baladant de l’un à l’autre. Ces méduses fonctionnent sur un double registre, celui médico-scientifique (on songe aux films de Jean Painlevé) du virus, celui fantastique de l’alien, créant une atmosphère véritablement oppressante. Quelque chose atteint les hommes et ils ne le savent pas. Ce quelque chose a des visages variés : la maladie, le dérèglement du corps, même rien, le petite rhume par exemple de Marc qui le fait passer aux yeux de Camille pour un garçon sensible, laquelle tombera donc amoureuse sur un malentendu, histoire foutue d’avance. Ou bien, le mensonge, omniprésent dans le film. Autre figure du corps étranger puisqu’il sape la relation sociale ou la relation à soi. Mentir à sa femme (Claude trompe Odile), mentir à sa cliente (Marc abuse Odile), mentir à son patron, mentir à celle qu’on aime (Simon cache son métier à Camille), se mentir à soi-même (Nicolas fait semblant d’ignorer qu’il ne veut pas que sa femme revienne), etc. Chanter, ou plutôt être chanté, est aussi une forme du mensonge puisque c’est livrer sans combat son âme au corps étranger, à la platitude du discours. De ce point de vue, la fin du film est tout à fait pathétique, faisant le partage entre ceux qui comprennent soudain que la vie est pure angoisse, qu’il faut seulement faire face et qui abandonnent les chansons pour le métier moins enchanté de vivre, et ceux, les autres, plus nombreux, qui ne voient pas ou ne veulent pas voir (Claude finalement ne quitte pas Odile), et se mettent à chanter un peu plus, ignorant qu’ils se livrent un peu plus à l’étranger en eux, à un peu plus de mort.
Stéphane Bouquet, Cahiers du cinéma n. 518, novembre 1997 |
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